Commentaires d'articles et d'ouvrages

Des psychanalystes en séance

Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine
Dir. Laurent Danon-Boileau et Jean-Yves Tamet

Yara DEBBAS TABET

Grâce aux récits de séances que les auteurs psychanalystes de ce collectif partagent avec nous, cet ouvrage invite le lecteur à s’imprégner de ce qui se passe, le temps d’une séance, dans le dispositif singulier de la relation intime patient/analyste.

Des psychanalystes en séance - Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine est un ouvrage collectif sous la direction de Laurent Danon-Boileau et Jean-Luc Tamet, eux-mêmes co-auteurs aux côtés d’une cinquantaine d’auteurs-psychanalystes de courants et d’écoles de pensée différents.
Il ne vient pas s’ajouter à la liste des précieux dictionnaires de vocabulaire de psychanalyse, il y en a déjà un grand nombre, qui pour leur part, permettent de comprendre la théorie et les différents courants de pensée. Il relate ce qui se déroule en séance, dans la pensée du psychanalyste, lorsque le patient confie un moment de sa vie intérieure et que le psychanalyste écoute. 
 
Qu’est ce qui se mobilise chez le psychanalyste ? Comment telle notion théorique s’invite ou opère dans son écoute de manière implicite ? Que se passe-t-il pour chacun des protagonistes de cette scène vivante que les auteurs nous invitent à visiter ?
 
Composé de deux parties principales, « L’espace de la séance » et « L’espace de la psyché », ce glossaire comprend plus d’une quinzaine de chapitres qui ont été regroupés minutieusement par thème et qui offrent la lecture de plusieurs séquences dont le lecteur, s’il n’a pas jeté un coup d’œil avant, découvre l’auteur en fin de texte. Mais on peut tout aussi bien se laisser porter sans suivre un ordre établi. On y trouvera des séquences dont certains titres font explicitement référence à un concept, comme « L’identification projective », « Interprétations saturées et non saturées », « L’indexation de l’interprétation », « Le transfert de base ». D’autres titres renvoient à des moments de cure, « La présence sensible de l’analyste », « La fin de l’analyse ». En outre, la littérature et les arts nourrissent également les psychanalystes et nous retrouvons au fil des récits Rousseau, Proust, Almodovar, Bacon, Conrad, Mozart, Poe, Sade, quand certains titres peuvent pour leur part constituer un début de roman comme « Le père battu », « La chimère » ou « La crise ».
 
Dans ces chapitres, le lecteur découvre des récits de séances, qui en soi sont déjà la possibilité d’une mise en route de la pensée analytique. Il peut saisir l’expérience clinique de l’analyste et s’imprégner de l’articulation théorique que ce dernier propose et y trouver une texture d’écoute, une sensibilité propre à chaque psychanalyste.
 
Car comme le souligne Laurent Danon-Boileau, « dans une rencontre analytique ce qui prévaut c’est ce qui se passe de spécifique entre deux individus », mais un lecteur averti pourra néanmoins reconnaitre ce qui prévaut dans les axes d’écoute ; pour les uns, ce sera la relation d’objet, d’autres mettront l’accent sur ce que Danon-Boileau appelle « le signifiant qui fait faux pli » et d’autres encore sur la polysémie du signifiant.
 
Le point de départ fondamental qui nous a été demandé, nous dit Michel Ody qui a répondu avec enthousiasme à cette invitation faite par son ami et collègue de longue date, était que chaque développement théorique à partir d’un concept devait être assorti d’un élément clinique, une richesse dans la littérature de la clinique psychanalytique destinée à un public large et varié que Gallimard a d’ailleurs édité en format Folio-Essais, ce qui le rend encore plus accessible à tous. Pour Michel Ody, si ce glossaire a réuni tant d’auteurs, c’est grâce à la confiance et au sérieux envers les rédacteurs et éditeurs et le succès de cet ouvrage en est l’illustration.
 
Les références conceptuelles sont variées, Freud est bien sûr au centre de plusieurs réflexions, mais tant d’autres également. Green, Pontalis, Winnicott, Bion, Laplanche, Zaltzman, Lacan, Anzieu, McDougall, Racamier, Aulagnier, Ogden, pour en nommer quelques-uns, émergent au gré des récits.
Si les « va et vient » entre théorie et clinique jalonnent cet ouvrage de manière riche et variée, les exemples suivants n’en sont qu’une illustration non exhaustive.

Michael Parsons, dans sa séquence dont le titre annonce le thème, « Rêverie et fonction alpha », nous rappelle comment à maints égards, la fonction alpha décrite par Wilfred Bion, cette capacité de la mère à transformer les expériences de la réalité brute de son enfant en éléments pensables, peut être assimilée à l’état psychique de l’analyste qui offre à son patient une disponibilité du même registre. Il décrit par une séquence clinique comment le processus et l’expression d’une interprétation productive naissent du résultat d’un travail intérieur continu et astreignant de la part de l’analyste mais qui  restent étrangement invisible au patient. Toute une réflexion donc autour de « la capacité de rêverie de la mère » de Bion, de la « préoccupation maternelle primaire » de Winnicott pour mettre en lumière les capacités transformatrices possibles pour le patient grâce à la fonction de rêverie de l’analyste.
 
Diana Tabacof, illustre le cas clinique d’un patient souffrant d’une grave maladie somatique en s’appuyant sur « la fonction maternelle du thérapeute » de Pierre Marty (de l’approche de la clinique psychosomatique), pour qui l’écoute du corps et des douleurs peuvent rappeler la fonction maternelle des débuts de la vie à visée conservatrice pour l’espèce. Cette fonction est sollicitée chez l’analyste dans certaines situations de débordements psychiques. « Vos douleurs semblent assez fortes aujourd’hui » ainsi que d’autres interventions liées au corps et aux besoins du patient, font de ce matériel un « objet psychique attracteur d’associations » et participent « au renforcement des assises narcissiques qui retentissent sur la capacité d’élaboration mentale du patient.
 
Thierry Bokanowski poursuit la question du transfert négatif, qu’il différencie du « transfert négativant » et illustre par des cas cliniques la distinction entre les deux ; si l’interprétation de l’un (le transfert négatif) est comme il le dit pour paraphraser Freud, « la voie royale » qui mène au processus analytique », dans les autres cas de figure, celle du transfert négativant, les tentatives de liaison de l’analyste sont peut-être une mise à mal de la neutralisation forcenée du lien transférentiel de la part du patient. Dans certains cas de figure et face à la menace de dépendance à l’objet, on assiste chez certains patients à des attaques destructrices (dévitalisantes et irréversibles) dirigées contre le lien qui unit le patient à l’analyste. Dans son cas clinique proposé et suite aux percées que l’analyste a pu enclencher, T. Bokanowski semble néanmoins malgré l’arrêt de l’analyse, vouloir prêter aux rêves de son patient, une amorce d’un maintien du lien, même par l’expression de la haine.
 
On pourrait penser que ces réflexions n’apparaissent que dans l’après coup de l’écoute analytique, mais elles constituent aussi, comme nous l’explique Danon-Boileau, un recours auquel le psychanalyste s’adonne durant la séance dans les moments de « bouleversements ».
 
Une fois tous les textes en main, les éditeurs se sont aperçus qu’il y avait dans ces productions des régularités qu’ils n’avaient pas anticipées. Voici ce que Danon-Boileau, dans un entretien avec Daniel Irago pour la revue en ligne Les enfants de la psychanalyse, nous donne à comprendre sur ces régularités : « Les analystes exprimaient de manière régulière le fait qu’ils passaient par certains moments et mouvements. Par exemple, ils faisaient souvent état de bouleversements dans l’écoute. (Au démarrage on n’avait rien de tel en tête. C’est à la relecture qu’Anne Maupas, Jean Yves Tamet et moi, nous avons remarqué ces régularités…) Et cela révèle en fait que c’est souvent quand on est en crise que l’on fait appel à un concept. Quand une séance se déroule sans crise, on ne pense pas nécessairement à mettre en jeu une perspective théorique. Une séance sans crise n’est pas nécessairement une séance qui fait avancer » […] « Cela peut aussi être une séance aimablement répétitive avec, disons, des variations suffisamment subtiles pour que chacun y trouve son compte, sans que l’on sache où tout cela va mener… En revanche, de temps en temps le psychanalyste est confronté à des crises. Parfois la répétition se fait sentir de manière extrêmement vive, parfois, on se sent terriblement impuissant. Et là souvent des concepts lui viennent en tête. »
  
Voici donc un ouvrage qui allie humilité et richesses au cœur d’une variété de textes rédigés avec infiniment de générosité et de créativité qui nous mettent à nous aussi, lecteur, « au travail », tout comme l’analyste « au travail », à l’écoute du patient.
 
 
Ont contribué à cet ouvrage :
 
Isabelle Alfandary ; Jacques Angelergues ; Claude Arlès ; Jean-Louis Baldacci ; Alice Bauer Torrente ; Gérard Bayle ; Thierry Bokanowski ; Laure Bonnefon-Tort ; Patrice Brunaud ; Évelyne Chauvet ; Brigitte Chervoillot-Courtillon ; Nicolas de Coulon ; Laurent Danon-Boileau ; Christophe Dejours ; Christophe Demaegdt ; Gilbert Diatkine ; Brigitte Dollé-Monglond ; Jean-Luc Donnet ; Jean-Philippe Dubois ; Haydée Faimberg ; Bernadette Ferrero-Madignier ; Mireille Fognini ; Isabelle Gernet ; Jean H. Guégan ; Jean-Michel Hirt ; Daniel Irago ; Claude Janin ; Rosine Jozef-Perelberg; René Kaës ; Laurence Kahn ; Réal Laperrière ; Françoise Laurent ; Marie-Françoise Laval-Hygonenq ; Marie-Laure Léandri ; Anne Maupas ; Patrick Merot ; Nicole Minazio ; Lucette Nobs ; Michel Ody ; Nicole Oury ; Vincent Pélissier ; Michael Parsons ; Virginia Picchi; Jacques Press ; Aleth Prudent-Bayle ; Rachel Rosenblum ; Évelyne Sechaud ; Marie Sirjacq ;Gérard Szwec ; Diana Tabaco ; Dominique Tabone Weil ; Jean-Yves Tamet ; Olivia Todisco ; Joseph Torrente ; Claire Tremoulet ; Michel Villand ; Felipe Votadoro.
 

Notes et références

Des psychanalystes en séance ; Glossaire clinique de psychanalyse contemporaine. Édition publiée sous la direction de Laurent Danon-Boileau et Jean-Yves Tamet ; Première edition, Collection Folio essais (n° 614), Gallimard.
               
Participation de Michel Ody, psychiatre psychanalyste, membre honoraire titulaire formateur de la Société Psychanalytique de Paris, Prix Maurice Bouvet 1988. Il a animé pendant plus de trente ans une équipe pluridisciplinaire en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au Centre Alfred Binet à Paris, centre pilote en psychiatrie et psychanalyse de l’enfant.

Entretien avec Laurent Danon-Boileau à propos de l’ouvrage Des psychanalystes en séance (Daniel Irago).