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Le point de vue psychologique

sur les phénomènes mystiques

Wafica ABOU-HABIB KALLASSI

(Cette conférence remaniée est traduite de l'arabe. Elle a été donnée au 2ème Congrès théologien de l'Université Antonine (2006) qui portait sur la mystique et les manifestations pieuses).

Traiter de la "mystique", c'est penser à cette partie en nous qui aspire à l'immortalité pour vaincre la réalité de la mort en désirant savourer la toute puissance des miracles, rempart de notre faiblesse humaine.
Depuis le début de l'histoire, l'homme a déifié les forces de la nature et les a adorées pour qu'elles le protégent. L'enfant de l'humanité n'a fait que suivre les pas de ses prédécesseurs, de sorte que la phylogenèse recoupât l'ontogenèse. Il a déifié sa mère qui a concentré par sa présence l'omnipotence de l'univers, fort et dangereux en même temps. L'enfant a ainsi grandi pour découvrir que l'idéal de ses parents n'est qu'illusion, ainsi qu'a grandi l'homme de la civilisation en soumettant la nature à sa science. Mais l'aspiration à l'Absolu resta imprégnée en lui génétiquement et psychiquement, marquant la projection sur Dieu de l'imago du couple parental idéalisé et haï en même temps (1). Certains chercheurs en génétique affirment actuellement que la motivation d'aspirer à un Dieu créateur et protecteur n'est qu'un vestige de notre inconscient collectif, voire un vestige imprégné dans nos gènes.
Cette passion et le désir de communication avec "l'Éblouissant" ont poussé l'être humain à se trouver des médiateurs entre ciel et terre : de la tribu du totem (2) et du chaman jusqu'aux saints, la magie et la recherche de l'extraordinaire et du miraculeux au-dedans de lui. Il s'est même adonné aux stupéfiants pour savourer le goût de l'extase infinie, sujet développé depuis T. Learg et les études de la relation entre mystique et drogue (T. Learg, 1960, professeur à l'Université de Harvard).
Cette aspiration de l'être humain à se dissoudre en Dieu ou dans l'univers a été interprétée par les psychanalystes comme un retour à l'utérus maternel (3) ou à la nostalgie de la première fusion d'avec la mère, ou encore au sentiment "océanique" tel que rapporté par Freud dans Malaise dans la civilisation (4).
Mais l'énigme de Dieu n'a pas été pour autant rendue plus intelligible, et elle ne le sera certainement jamais avec nos outils limités. Car comment une science limitée comme la psychologie par exemple, ou comme toute science d'ailleurs (à part peut être le développement de la physique quantique!) pourra-t- elle expliquer avec ses outils relatifs un axiome absolu?

Nous allons quand même essayer au cours de cet exposé de jeter une lueur scientifique sur le problème de la mystique à l'aide de la psychopathologie et de la psychologie religieuse.
Cette dernière science tend à expliciter la relation entre la foi religieuse, les expériences, les attitudes et les comportements religieux. Son intention n'est pas d'analyser l'au-delà, ni d'être le garant d'une vraie ou fausse foi, ni de prétendre trouver une réponse à l'existence ou non de Dieu car tout cela ne relève pas de son domaine. Son objet d'étude, c'est d'essayer de trouver un déterminisme conscient ou inconscient aux comportements religieux visibles (prières, rituels, extases, apparitions, etc.)


La psychologie religieuse qui a commencé par les questionnements des philosophes, des poètes, des théologiens (comme Saint Augustin dans ses 'confessions') et qui a évolué avec la littérature, a inauguré l'idée selon laquelle Dieu est une projection idéalisée de l'être humain et ce, plusieurs années avant Freud et l'avènement de la psychanalyse (Feurerback, 1804-1872). Les explications ont continué avec W. James en Amérique, avec S. Freud à Vienne qui fait le rapprochement entre la névrose obsessionnelle et les rituels religieux (5) et avec C.G. Jung et ses développements sur les archétypes et l'inconscient collectif (6).
Quant à l'école française, elle fut inaugurée à la Salpêtrière par P. Janet (1859-1947) et ses expérimentations sur l'hypnose et la suggestion, appliquées sur des cas d'hystérie mystique. Il a pu prouver la pertinence de la suggestion et de l'auto-suggestion dans l'induction des extases mystiques et même des stigmates du Christ sur des patients hystériques (7).


Notre sujet sur les manifestations pieuses pose le problème de l'expérience "mystique" dans la croyance religieuse populaire, où le vécu personnel est généralisé sur la foule qui va le transformer en une forme d'adoration qui supplantera la ritualisation sacrementale traditionnelle (8). Ces formes d'adoration diffèrent du mysticisme classique rencontré chez les saints des grandes Écoles mystiques.
Par contre, les manifestations "mystiques" populaires recherchent la révélation par le biais de signes palpables sensoriels, passant à travers des médiateurs communiquant avec le monde métaphysique en prenant sur soi toute l'énergie émotionnelle des croyants, leur angoisse, leur souffrance et leur joies quotidiennes.
Cette croyance religieuse populaire est ancrée dans la réalité comme dans le cas de Bernadette De Soubirou qui dit avec affirmation : "Je l'ai vue de mes propres yeux!", et comme dans le cas de Jeanne d'Arc qui elle aussi, était sûre que les voix qu'elle entendait provenaient de Dieu. Cette croyance religieuse populaire porte donc en son sein les germes de la foi simple et infantile, condition nécessaire pour accéder au "royaume céleste"!


Si nous voulons limiter notre étude aux visions et apparitions dans la croyance religieuse chrétienne populaire, commençons par définir la vision et l'apparition du point de vue psychologique, pour passer ensuite à des exemples pratiques des apparitions populaires et la méthodologie de leur étude à l'aide de la psychologie religieuse et de la psychopathologie.
La vision est une communication sensorielle (auditive, visuelle) avec la Vierge, les saints ou autres, durant le rêve ou "l'extase mystique". Tandis que les apparitions se passent en période de veille et tablent plus sur l'organe visuel où "l'au-delà" communique avec un être humain par le biais de la vue, l'ouïe et même par le toucher. Pendant les visions et les apparitions, des messages peuvent être transmis, ou bien juste une lumière ou un son.
Nous savons qu'en général, il existe trois sortes d'apparition :
- Les apparitions sensorielles où les organes des sens sont impliqués (le toucher par un saint par exemple...),
- Les apparitions imaginaires où les organes des sens ne sont pas directement impliqués (rêve, rêverie par exemple) et
- Les apparitions cognitives où la compréhension est pure et sans images (un insight, comme dans une révélation...).
Pour commencer, nous pourrons énoncer un axiome de base de la psychopathologie qui considère les apparitions et les visions comme des hallucinations auditives et visuelles aussi bien au niveau individuel que collectif. Une foule qui prie dans le lieu des apparitions a un besoin ardent de communiquer avec Dieu par un biais palpable - « le visionnaire » - qui constitue un intermédiaire entre la foule et Dieu. Ceci entraînera la foule dans une illusion frôlant le délire collectif qui alimente les hallucinations.
De son côté, A. Vergote (9) analyse en profondeur la différence entre hallucination pathogène et non-pathogène. Il estime que même si on classe le domaine des apparitions et des visions dans le registre hallucinatoire, cela ne veut pas dire que ces phénomènes sont exclusivement pathologiques.

Mais comment donc H. Hey définit-il l'hallucination ? (10)
Selon lui, "l'hallucination est un phénomène pathologique du subjectif, défini classiquement et elliptiquement comme perception sans objet à percevoir, à laquelle le sujet adhère et réagit comme si sa perception venait bien de la réalité extérieure."
De leur côté, Gulfi et Boyer (11) différencient les fausses perceptions non hallucinatoires et les hallucinations (psychosensorielles, psychiques et cliniques). Par ailleurs, l'hallucination semble être apparentée à la pensée magique et l'illusion qu'on rencontre chez l'homme primitif et les enfants.
Nous pourrons alors supposer que les apparitions ne sont que des hallucinations visant à combler le vide dans la réalité. À partir de là, Vergote se questionne sur la définition même de la vraie et de la fausse réalité.
La question semble immense!
Si nous prenons l'exemple de P. Janet qui diagnostique Thérèse d'Avila comme manifestant un délire mystique, cela parait assez simple mais limité et amputé, puisqu'il ne prend pas en considération la possibilité chez cette sainte de sublimer sa névrose hystérique.
Retenons avec Vergote cette définition de la sublimation :
"Nous désignons comme sublimation, une certaine sorte de modification de but et de changement d'objet (de la pulsion sexuelle) dans lesquels entre en considération notre évaluation sociale."(12) Vergote essaye alors de distinguer entre "hystérie réussie" (comme dans la sublimation de T. D'Avila) et "névrose hystérique" (comme dans le cas de Madeleine Le Bouc, étudié par P. Janet) (13). Il note par contre le rapprochement de l'expérience mystique et de la conversion hystérique qui produisent toutes deux un changement "auto-plastique" au niveau du corps, comme par exemple les stigmates convertis. Mais le but et l'objet de cet appel au niveau du corps diffèrent métapsychologiquement dans les deux cas.

Dans le cas de Sainte-Thérèse, nous constatons qu'elle pratique un dépouillement narcissique par l'effet d'une auto-analyse à travers ses écritures, sa fondation de couvents et son dépassement des ravissements et des phénomènes physiques de son expérience mystique (lévitation, extase, etc.), à l'aide de sa capacité à sublimer son objet d'amour et accepter son absence. Elle arrive à sublimer l'investissement libidinal du corps hystérisé sur un objet religieux avec un but de jouissance spirituelle.

Revenons à notre thème des phénomènes d'apparition en commençant tout d'abord par répartir l'hallucination " explication scientifique que nous retenons pour les apparitions et les visions populaires " en trois groupes :

1. L'HALLUCINATION DÉLIRANTE PSYCHOTIQUE

C'est l'hallucination psychotique avec délire divaguant de la réalité objective.
Le 'visionnaire' est très sûr de sa vision au point que le monde réel s'estompe au profit du monde imaginaire. En psychologie clinique la personnalité pathologique du visionnaire est décelable à l'aide des épreuves projectives et de l'entretien clinique.

2. L'HALLUCINATION HYSTÉRIQUE

Au niveau de la névrose hystérique, les fantasmes refoulés s'étayeront sur le monde hallucinatoire sensoriel avec des symptômes somatiques évidents. Les hystériques, les femmes surtout, s'identifient à la position du crucifié par exemple ou bien manifestent une souffrance suggestive convertie des stigmates du Christ.
L'hallucination hystérique essaye de satisfaire les désirs inconscients en théâtralisant les apparitions des saints ou bien en utilisant les visions intérieures qui s'avèrent fausses à l'étude approfondie. Comme par exemple les visions de la fin du monde ou les prévisions de la mort d'un religieux ou d'un politicien important. Nous pourrons alors classer ces visions dans le registre de la fraude symptomatique.
À côté de l'étude analytique de la personnalité du "visionnaire", le clinicien est convié à approfondir le contenu des messages des apparitions et visions pour pouvoir lier le tout à la signification dynamique renvoyant à l'histoire personnelle du "visionnaire".

3. L'HALLUCINATION MYSTÉRIEUSE

C'est le type d'hallucination qui est considéréé comme frôlant la 'mystique'.
Dans ce cas là, l'étude verticale de la personnalité ne diagnostique pas une hallucination pathogène (psychotique, hystérique ou borderline), et l'étude du contenu des messages du 'visionnaire' ne montre pas une problématique paranoïde projective ou narcissique, comme elle ne montre pas de fraude symptomatique.

Après cet aperçu théorique, passons aux exemples issus des études psychopathologiques des apparitions extraordinaires.
Prenons comme premier exemple l'apparition de la Vierge à Beauraing en Belgique (1932-1933), dans une étude du prof. J. Corveleyn de Leuven (14), où il trace la méthodologie actuelle de la psychologie dans son approche des phénomènes extraordinaires en la répartissant en trois axes :

Le premier axe est l'investigation psychologique individuelle verticale du 'visionnaire' et de son expérience personnelle avec l'aide des tests de personnalité. Ces tests, aidés par l'entretien clinique, tracent le profil de personnalité du visionnaire : psychose, névrose ou borderline.
Le deuxième axe est le contexte psycho-social, car la psychologie religieuse ne peut pas se contenter de l'étude verticale de la personnalité du visionnaire, elle prend aussi en considération son interaction horizontale avec son entourage social, surtout les communautés religieuses qui l'ont influencé : l'impact spirituel de l'éducation parentale, de l'école et de ses groupes d'appartenance.
Prenons pour exemple les visions de la Vierge Marie qu'on ne trouve pas dans les visions des protestants chez qui le culte de la Vierge n'existe pas autant que chez les catholiques et les peuples méditerranéens (15).
Au niveau de cet axe psycho-social, nous avons à examiner la position des instances ecclésiastiques envers les apparitions extraordinaires et la manière dont elles appréhendent l'expérience du 'visionnaire'.

Le troisième axe consiste à insérer l'individu et la société dans une trajectoire psycho-historique commune de lieu et de temps : les sciences qui sont contemporaines des apparitions, la date des apparitions précédentes et leur influence probable sur l'apparition actuelle.
Après l'apparition de Lourdes par exemple et l'adoption par le Vatican de l'apparition de Fatima, on a assisté à une recrudescence d'apparitions dans le monde catholique car l'impact du facteur historique est indéniable sur le psychisme du visionnaire et sur sa position sociale.
Nous remarquons alors que les apparitions ont augmenté au XIXème siècle par la tendance de la foule à imiter les expériences intimes des apparitions et des visions individuelles.

Essayons à présent d'élucider l'apparition de Beauraing à partir de ces trois approches des phénomènes extraordinaires. Il s'agit de 35 apparitions de la Vierge Marie au dessus d'une grotte ressemblant à celle de Lourdes, dans le jardin d'un couvent des soeurs à Beauraing, à cinq enfants âgés entre 9 et 14 ans.
L'investigation psychologique menée auprès de ces cinq enfants a abouti aux constatations suivantes :
1. La première apparition est une illusion individuelle
2. La deuxième apparition pourrait être une illusion groupale
3. Tandis que les apparitions qui ont suivi, pourraient être classées dans le registre de la simulation inconsciente
4. Ce qui a été nommé 'messages' n'est qu'une auto-suggestion.

Le psychiatre De Greef, qui a examiné ces enfants, estime que les phénomènes observés ne sont que des illusions et suggestions communes à tous les enfants de cet âge.
Selon J. Corveleyn, le rapport de De Greef à été influencé par ses propres convictions philosophico-théologiques. De Greef a ainsi occulté la valeur religieuse de l'expérience de ces enfants, l'influence de leur entourage et l'histoire des apparitions précédentes qui ont un rapport indéniable avec cette vision au-dessus d'une grotte comme celle de la Vierge de Lourdes. L'interprétation psychologique du phénomène a ainsi sous estimé sa portée religieuse, sociale et historique.

Cela nous amène à nous poser la question suivante : cette analyse de De Greef résume-t-elle tout ce que la psychologie peut nous instruire à propos des apparitions ?
Des psychologues et des psychanalystes contemporains comme M.Carroll, A.Vergote, ont étudié les faits extraordinaires sous un angle diffèrent.
Carroll estime de son côté que l'apparition à Beauraing est hallucinatoire sans pour autant être un phénomène pathogène. Il en retient trois paramètres :
1- La croyance en la Sainte Vierge est l'assise religieuse première qui a influencé les enfants
2- Le rôle de l'imitation entre les enfants a renforcé la vision groupale
3- Le désir inconscient individuel d'idéaliser l'image parentale a accentué la projection sur la Vierge-mère.

Quant à l'interprétation de Vergote, elle prend en considération d'un côté les facteurs psycho-sociaux et de l'autre, elle essaye d'approfondir la discrimination entre le délire pathologique et celui qui ne l'est pas. Selon lui, quand on parle de délire au niveau des apparitions et des visions, cela ne veut pas dire que le phénomène est exclusivement pathologique.

Il donne à ce propos l'exemple des visions d'Ignace de Loyola (16) qui, influencé par la vie des saints, avait commencé une ascèse drastique qui l'a menée à un doute tenace et tortureux, et à des visions hallucinatoires qui ont duré plusieurs jours. Ignace percevait dans l'espace, à sa droite, une très belle forme qui l'enchantait et le consolait à la fois. Il décrivait cette 'chose' comme un serpent tacheté de points et d'yeux.
Cette période de la vie d'Ignace " avant le couvent " fut imprégnée d'instabilité affective entre la paix intérieure et la dépression ; jusqu'au jour où des symptômes obsessionnels apparurent (confession compulsive…). Cette instabilité prenait la forme d'une aversion de la vie ascétique, culminant avec des idées suicidaires. Jusqu'au jour où Ignace découvrit que cette 'chose' qu'il percevait était le diable.
L'étude autobiographique de St Ignace, qui s'est appuyée sur l'itinèraire de sa vie, son évolution et ses manuscrits personnels, ne prouva pas pour autant l'existence d'une psychose ou d'une hystérie de conversion. Mais par contre, on a découvert quelques symptômes obsessionnels qui, selon la psychopahologie, ne peuvent évoluer en hallucination.

Vergote considère que l'aspect hallucinatoire des visions d'Ignace (la belle 'chose'suspendue à côté de lui qui l'enchantait et le séduisait, suspectant le diable) ne peut ni être classé dans le registre du retour du refoulé " comme au niveau de l'hallucination hystérique " ni être diagnostiqué comme hallucination délirante.
Pour le comprendre, Vergote suggère d'insérer cette vision dans son contexte religieux, l'influence de la culture ambiante et de l'idéal religieux du temps d'Ignace de Loyola.
L'intimité des visions des saints révèle en même temps Dieu et le cache. Tandis que la personne déséquilibrée psychiquement a un besoin intense de l'hallucination comme sortie de la réalité, le 'mystique'parait, de son côté, en harmonie avec ses visions émanant de sa pensée inconsciente de croyant.
Le dernier exemple que donne Vergote (17) est inspiré de la religion populaire comme dans le cas de Jeanne D'Arc qui entendait des voix l'incitant à gouverner à l'âge de 13 ans!
Elle avait la conviction que ces 'voix angéliques' transmettaient des ordres divins. Elle conduisit alors un mouvement populaire et militaire vaste pour répondre à cet appel missionnaire.
Pour Vergote si la psychologie clinique diagnostique J. D'Arc comme souffrant de psychose hallucinatoire, cela montre bien l'incompétence et les limites de cette discipline. Car l'envergure actuelle de la psychologie religieuse insère la personnalité dans son milieu socio-historique pour comprendre le phénomène surnaturel dans sa totalité. Dans le cas de J. D'Arc, il faut prendre en considération qu'elle était illettrée, imprégnée par la spiritualité franciscaine, à côté de son sens politique et sa personnalité rigide, pour élucider cet aspect personnel qui a été influencé par un milieu politico-religieux, et par l'impact du moyen âge qui abondait de visionnaires.

Ainsi, à la lumière de la culture de son époque, l'analyse des messages de J. D'Arc nous apparaît plus claire. Par contre, l'approche analytique du contenu des messages ne révèle aucun déséquilibre psychique. J. D'Arc semblait en conformité avec ses contemporains, écoutant les nouvelles des visions, les voix prophétiques et les apparitions de fées et de diables.
Cela nous conduit au questionnement suivant : si le contenu des visions n'est pas du délire et n'est pas pour autant un retour du refoulé, ce phénomène est-il pathologique ou pas?
Pour confirmer l'influence des fantasmes populaires chrétiens de l'époque sur les visions de J.D'Arc, nous prendrons l'exemple de la voix de l'ange qu'elle entendait à sa droite. Nous pouvons le comprendre ainsi : pendant l'époque où J. D'Arc vécut, la conviction qui prévalait, croyait que l'ange gardien est toujours à la droite de l'enfant, formant ainsi son double céleste qui lui inspirait idées et actions justes. J. D'Arc la croyante, dotée d'une imagination poétique, a pu déplacer ses fantasmes affectifs pour les investir dans le monde sensoriel.

La psychologie croit qu'on peut 'voir'des fantasmes sensoriels sans les classer dans le registre de la pathologie : voir en imagination par exemple un être cher qu'on a perdu ou voir notre bien aimé dans une rêverie.
Vergote ouvre la porte à toutes les possibilités : comme nous ne pouvons pas véritablement comprendre la force thérapeutique de la 'parole' en psychanalyse, comme nous ne pouvons pas réellement expliquer le génie artistique, le secret de J. D'arc restera insondable.

Clôturons avec ces paroles de Sainte-Thérèse D'Avila décrivant les visions mentales intérieures que J. De La Croix considère comme les plus sublimes spirituellement :
'Nous ne voyons rien, à l'intérieur et à l'extérieur et sans voir, l'âme perçoit son objet et le sent clairement comme si elle le voyait' (Château intérieur)


Références

1 Freud S., L'Avenir d'une illusion, P.U.F., Paris, 1980.
2 Freud S., Totem et tabou, Payot, Paris, 1972.
3 Ferenzci S., Thalassa, Payot, Paris, 1924.
4 Freud S., Malaise dans la civilisation, P.U.F., Paris, 1981.
5 Freud S., L'Avenir d'une illusion, ibid.
6 Jung C. G., Dialectique du moi et de l'inconscient, Paris, 1964.
7 Janet P., De l'angoisse à l'extase, 1928.
8 Freud S., Psychologie des foules et analyse du moi, Payot, Paris, 1972
9 Vergote A., Dette et désir, Seuil, Paris, 1978.
10 Hey H., Traité des hallucinations, 1930.
11 Guelfi & Cie, Psychiatrie, PUF, Paris, 1987.
12 Freud S., Nouvelles conférences sur la psychanalyse, Gallimard, Paris, 1936.
Cf. de même : Vergote A., La psychanalyse à l'épreuve de la sublimation, Cerf, Paris, 1997.
13 Maitre J., Une inconnue célèbre, Anthropos, Paris, 1993.
14 Corveleyn J., Folk religiosity or psychopathology? The case of the Virgin in Beauraing, Belgium, 1932-1933, in J.A.Belzen, (Ed), psychohistory in psychology of religion, Interdisciplinary studies, Amsterdam/Atlanta, 2001.
15 Carroll M., The cult of the Virgin Mary psychological origins, Princepton University Press, Oxford, 1992.
16 Vergote A., Dette et désir, ibid.
17 Ibid.


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Peinture : Katya Traboulsi, "Des autres".