Conférences en ligne

Moi idéal et hypermodernité

Martina BURDET

 

Ce texte a été publié dans le bulletin de la Fédération Européenne de Psychanalyse (2022 t.76) et par la revue anglaise Vestigia. Il a été en outre donné en conférence dans le cadre des activités scientifiques de l'ALDeP, le 9 mars 2023.

Deux exemples provoquants : Metavers et « Web 2.0 » c´est-à-dire deux éléments nouveaux mais néanmoins familiers de notre environnement social, de notre vie quotidienne non psychopathologique. Et pourtant !

Métavers, le nom nouvellement crée de Facebook, est un joyau de toute puissance qui unit le préfixe « méta » qui signifie au-delà, en profondeur, accolé au substantif « vers » de la créativité et rêverie poétique qui ouvre sur la fantaisie. De plus, métavers se présente associé au symbole de l'infini : tout est possible ou le devient. Un monde, divers mondes, une variété infinie de mondes peuvent être créés dans l´espace virtuel. Là, tout sera possible : acheter, aimer… sans l´obstacle de la réalité. Des casques sont déjà disponibles sur le marché pour nous connecter à ce monde. Voici le projet de M. Zuckerberg qui, à l'image d'un Dieu, propose ses créations ambitieuses. Mon qualificatif est pâle. Monde de toute puissance dans lequel tout un chacun se convertit en son propre créateur. Monde dont nous avons déjà quelques échantillons introductifs, ne serait-ce que par les jeux interactifs en ligne ou certaines créations artistiques fabuleuses comme celle de Blanca Li dans son célèbre spectacle « Le bal de Paris »[1].

Quant au web 2.0 ou Web social, il définit le comment nous nous personnalisons, quelles sont nos actions devant notre ordinateur. « Il comprend les différents sites web qui facilitent l'échange d'informations, l'inter opérativité, le design centré sur l'utilisateur et la collaboration au World Wide Web » selon la définition de Wikipédia.

www signifie World Wide Web toile d'araignée mondiale. Elle analyse les données. L´intelligence artificielle associée à la sémantique crée des réseaux et établit des relations entre concepts qui viennent s´ajouter à l'ensemble, au set composé par la technologie et l´analyse informatique. Maintenant le Web connaît, nous connaît, me connaît, vous connaît. Comment penser cette séduction sociale surgie d'un algorithme qui néanmoins nous fait nous sentir devinés, donc interpellés ? Y aurait-il ici une apparente séduction d'un supposé savoir ?

Et le psychanalyste, que pense-t-il de ce quotidien fait aussi de métavers ou du web 2.0 qui règnent sur nos idéaux sociaux ? Peut-il se permettre de penser que nous sommes en train de passer de la crainte de la castration par le père à l'angoisse face au maternel ; du trop loin et de l´angoisse de solitude, d'être sans recours (Hilflosigkeit), à un trop plein étouffant ; ou encore de l'impuissance au délire de toute puissance idéale ?

Mon titre « Moi Idéal et hypermodernité » se situe à l'entrecroisement entre l'intra et l'intersubjectif, et plus largement entre psyché et société ; entre notre temps qualifié d´hypermoderne (Lipovetsky, 2006) et l'idéal à cheval entre le social et la psyché, entre l'intérieur et l'extérieur. Un impératif surmoïque équivalent à un devoir de jouissance (Assoun, 2017) du toujours plus ; une absence de moi et un surmoi où l´excès ressemble à un Dieu intérieur (Enriquez, 2017) J'oserais dire, un impératif surmoïque tellement hors la loi et si peu protecteur qu'il semble venir se confondre ou recouper le moi idéal et empêche la formation de l'idéal du moi qui apparaît après le déclin (Untergang) du complexe d´Œdipe et la nécessaire élaboration de la castration.

Idéaux comme proposition conceptuelle plurielle de cette conférence, permet de penser les déclinaisons pathologiques du moi idéal selon la théorie de la complexité (Morin, 2006) en recourant à la richesse de l'exogamie théorique qui permet de ne pas tomber dans un « isolement splendide et appauvrissant tout en cultivant ce qui est propre et permet de préserver notre singularité » d'analyste ; et de la psychanalyse sur son versant subversif (Cruz-Roche, 2018: 510).

Ma question principale sera ici celle-ci : les divers changements paradigmatiques et les véritables progrès techniques au niveau social apportent-ils simplement de nouveaux outils aux conflits psychiques de toujours, ou assiste-t-on à de véritables métamorphoses des subjectivités du sujet hypermoderne, consécutives aux nouveaux idéaux qui convergent de manière prédominante vers un narcissisme exacerbé en unisson avec diverses déclinaisons d´un moi idéal qui tend vers l'exclusivité ou même l'au-delà du principe du plaisir, l'euphorie du toujours plus hors limite de la société hypermoderne (Lipovetsky, 2006) érigée sur la révolution miraculeuse que suppose l'ensemble formé par l'informatique, les nouvelles technologies et plus récemment la passion pour les données (Derrida, 1996), le tout en consonance avec un changement paradigmatique au niveau de la temporalité marquée par le présentisme (Hartog, 2012) et le culte de l'urgence (Aubert, 2003).

Le moi idéal, au sens que lui donne Nunberg, est « un Moi encore non organisé qui se sent uni au Ça et qui correspond à une condition idéale, et qui pour cette raison s'appelle le Moi Idéal » (1957: 135). Appartenance préœdipienne donc de ce moi idéal, « expression structurelle du narcissisme de la toute-puissance » (Lagache, 1960: 328). Semblable à une sorte d'instance, depuis Nunberg, mais aussi malgré certaines différences, chez Lacan, Lagache et Hanly ; il porte la marque de l'identification primaire, de l'indifférenciation d'avec le premier autre tout-puissant, la mère. Le moi idéal, assimilable et proche du moi plaisir purifié, court-circuite toute dimension temporelle et objectale et s´oppose donc à l'idéal du moi et au surmoi.

Ce sont les premiers objets qui collaborent à la construction d'un narcissisme de vie nécessaire, en rien pathologique. Ils sont là afin de lier pulsions, d´agression ou de mort, et d'insuffler à l'infans le message de « tu es capable ». Il est clair qu'il existe une illusion de toute puissante saine et nécessaire aux origines de psyché.

Mais mes propos ici vont se concentrer sur la régression à un moi idéal différent de la conception d´un début nécessaire structurant qui existe aussi. Le moi idéal est ici compris sous un autre de ses aspects, comme retour, régression à une identité compensatoire face à un vide identificatoire (Corcos, 2017). Une manière de conceptualiser parmi d'autres les conséquences dues à certains traumas précoces englobant des aspects très différents allant de l'objet défaillant, « not good enough », à l'environnement marqué, soit par « l'hyper », c'est-à-dire l'excès d´un côté ; soit par des injonctions à jouir ici et maintenant, soit encore comme dérive narcissiste défensive des inévitables blessures supposées par l'existence de l'autre.

Se produisent alors diverses formes d´identifications pathologiques sans fissures, soit à travers l'union avec un autre idéalisé, soit une idéalisation absolue de soi, soit encore des formes de mégalomanie. Suite à la faille de l'objet, le sujet reste attrapé entre le vide et les artefacts, des stratégies bouche trous comme les drogues, les objets fétiches ou les faux selfs, ou encore la fuite dans les refuges psychiques (Steiner, 1995).

L'idéal émerge à l'entrecroisement entre la nature comprise dans sa profondeur biologique et le culturel (Green, 1990) ou comme monstre trisystémique, c'est-à-dire biopsychosocial (Morin, 2006). L'un doit apprendre à parler avec les autres. Le monde extérieur est à l'intérieur, par exemple grâce au langage. Comme le « Moi peau » (Anzieu, 1974) il condense séparation et rencontre, intérieur et extérieur. Il articule l'intersubjectif et l'intrapsychique.

Toute psychologie est en même temps une psychologie sociale. Il n'y a pas de sujet ni d'infans sans un premier autre ; premier socius aussi. Avec la première gorgée de lait le bébé boit la première gorgée du monde disait en beauté Aulagnier (1995). L'homme sans culture est un primate. Il y a une interdépendance formidable entre le culturel et le psychique. L'animal singe isolé ne développe pas sa génétique et devient un petit Kaspar Hauser ; de même l'être humain ne développe pas sa génétique sans son monde environnemental (Cyrulnik et Morin, 2000).

C´est à travers le fil rouge du lien à l'autre (ou l'Autre selon la théorie considérée) plongé lui-même dans l'hypermodernité (Lipotvetsky, 2006) et de son articulation avec le sujet que je parlerai des idéaux aujourd'hui, en analysant plus particulièrement les différents visages et déclinaisons du moi idéal sous ses différents aspects : toute puissance, fusion, lorsqu’il semble se moquer de la norme structurante et cesser de s'articuler avec l'idéal du moi qui marque la mesure. Green (1990) parle d´un idéal de mesure équivalent à la reconnaissance de l'autre comme limite aux désirs de domination du sujet, affirmation mise à l'épreuve par certains idéaux émergents. Il existe en effet un gouffre entre la notion de mesure mise par l'autre et le désir idéal actuel de s´en décrocher au profit d´une centration sur soi appauvrissante. Nous sommes passés des sentiments durables aux relations liquides (Bauman, 2003). On effleure plutôt que de s'attacher (Aubert, 2017b).

L'autre sans qualité qui n'est plus recherché pour ses valeurs intrinsèques se voit souvent réduit au rôle de distributeur de likes, ou en une donnée vidée de sens ; autre dénié au profit de la folie narcissique de l'amour de soi-même, d'un moi idéal il y a déjà longtemps dénoncé tant par la sociologie, Lasch (1979) en tête, que par la psychanalyse penchée sur la problématique des limites depuis les années 50. Le narcissisme est à son acmé. C´est le triomphe de l'individualisme.

Like signifie «comme», « ça me plaît ». C´est aussi la nouvelle monnaie amoureuse qui ne ressent rien, produite par des géants comme Facebook à l'origine. Signe d´un nouveau malaise qui veut qu'on soit passé du discours à l'image. La libido ici s'est retirée des objets et est retournée sur le moi. Dans les deux cas, sujet exhibitionniste et objet qui regarde, il y a panne d'un discours devenu peau de chagrin. « Le monde est fait pour être vu, pour être à la pleine disposition de celui qui regarde, et non pour être compris » (Enriquez, 2017: 65). La réalité est devenue spectacle d'où la « fatigue d'être soi » (Ehrenberg, 2010) et l´augmentation des personnalités « comme si » « as if ». Autre forme d´évitement de l'autre.

Me consacrant ailleurs (Burdet, 2018) plus spécifiquement à l'analyse du lien amoureux et en particulier des cas relatifs à son impossibilité, j'ai écrit «@imer» traversé par arrobase, véritable blessure au bon usage de la langue, comme métaphore de l'articulation entre la culture digitale et l'affect, entre le monde interne et l'intersubjectivité. Arrobase devenant le symbole du passage de la relation a la connexion, du désir et de l'amour pour la qualité et l'altérité de l'autre qui se voit reléguée et qui s'effiloche au profit de la satisfaction immédiate et d´une jouissance sans trêve ; nouvel idéal psychosocial qui suppose que le choix amoureux qui implique le renoncement aux objets parentaux de l'enfance consiste à pouvoir connaître et désirer l'autre pour ses qualités intrinsèques, son altérité, choix qui implique avoir aussi pu renoncer à la complétude narcissique.

Un nouvel ordre amoureux idéalisé surgit avec force, marqué par l'affaiblissement d'Éros tandis que Narcisse chante à plein poumons, situation dans laquelle l'autre est devenu banal, substituable, sans qualité, comme s'il s'agissait d´une marchandise. Ce qui importe n'est plus le désir de l´autre mais la quête d'une jouissance sans trêve qui court-circuite la fonction hallucinatoire et donc l'organisation du désir de l´autre.

Éros n'ouvre plus sur l'expérience de l'autre dans son altérité (Kristeva, 1993) et débouche sur une véritable crise de l'idéal du moi et du surmoi (en ce qu´ils devraient supposer de renoncement à la totale satisfaction) dans une terminologie freudienne. Les tensions structurantes pour le psychisme entre moi idéal et idéal du moi (Freud), ou entre « illusion et déception » (Winnicott, 1958, ou entre « centration narcissique » et « projection identificatoire » (Aulagnier, 1995) glissent vers une déclinaison de diverses figures qui se cantonnent de plus en plus du côté du moi idéal qui concentre la toute puissance et l'absence de limites devenue question majeure de plus prônée par l´injonction surmoïque à jouir sans trêve déjà mentionnée.

Comme psychanalystes nous savons qu´il n'existe pas de création psychique sans un autre ayant dispensé plaisir initial, premier regard miroir, première frustration supportable qui permet d'halluciner et de se représenter l'objet en absence. « Je est un autre » (Lettre de Rimbaud à Paul Demeny, 15 mai 1871).

Toutes les théories analytiques malgré leurs différences vont dans ce sens qui souligne l'importance primordiale de l'autre. Lacan évoque le désir du désir de l'Autre ; Laplanche théorise un infans traversé par les messages énigmatiques de l'autre ; Ferenczi, Winnicott, Aulagnier et Laplanche, de manières très différente, remontent aux origines de la vie psychique en contact avec un premier objet doté de qualités, suffisamment bonnes ou pas, pour le premier ; à l'origine d'expériences de satisfaction suffisantes pour la seconde, afin de pouvoir obtenir un psychisme capable de se développer sans que domine « le désir du non désir », et ce afin que la capacité hallucinatoire du désir puisse advenir, que l'objet puisse collaborer à la liaison des pulsions (Freud, 1923b) ou qu´un masochisme « gardien de vie » (Rosenberg, 1991) puisse se développer et assurer la vie psychique, ou encore que la répétition (au sens que lui donne Freud en 1913) et la pathologie de l'acte ne soit pas la norme et que la remémoration puisse advenir. Winnicott présente la continuité de l'objet comme élément de sécurité pour la construction psychique. On retrouve cette même idée dans la sociologie : Simmel (1998) souligne que la qualité des interactions relève de la durée.

À l'ère de l'hypermodernité, c'est ce fait structurant d´une subjectivité nécessairement accrochée à un autre que l'idéal de toute puissance blessée voudrait défensivement gommer. « Je » ne veut plus de l'autre, de sa marque, de la blessure laissée par l´Hilflosigkeit inaugurale, sceau de la nature humaine.

Je s'acharne à nier l´autre, à le reléguer pour mieux régresser dans une vie sans histoire, sans une évolution sexuelle en deux temps, c'est-à-dire pour sortir de la créativité subjective « normale » grâce à une auto-créativité défensive ? Serait-ce un maternel pour soi, une nostalgie de l´enfance, une toute puissance infantile, un regard sans faille ? Tant de questions posées dans l´introduction à l´Annuel de l´APF (2011).

D'un point de vue psychanalytique freudien, dire qu'Éros se fragilise dans notre société liquide (Bauman, 2003) revient à signaler l'affaiblissement des forces de liaison entre pulsions de vie et pulsions de mort. Déliaison pour Freud [1920g], désobjectalisation pour (Green 1990) en tant qu'attaque à l'objet, avec toutes les conséquences que cela implique dans la dialectique avec le surmoi/idéal du moi.

On trouve une illustration extrême de ce nouvel idéal de désubjectivation dans plusieurs situations :

Du jamais vu auparavant, chez les « Hikikomoris » au Japon pour lesquels l´autre est balayé de la vie qui se déroule exclusivement on line. Nous pourrions lire ce phénomène comme représentant du « désir de non-désir » (Aulagnier, 1995), autre forme de la pulsion de mort, ou comme refuge psychique (Steiner, 1995). L'angoisse est ici le lien à l'autre et l'idéal coïncide avec le refus d´être sujet.

Les Geeks – addicts ou dépendants de la technologie – de plus en plus nombreux dans notre monde occidental ainsi que l'augmentation de pathologie de la famille de l'autisme ou des variations d'Asperger vont aussi dans ce sens.

Freud disait [1923b] (1993: 273) déjà il y a un siècle que ce que le moi redoute le plus est l'anéantissement. À sa place naissent les (faux) idéaux qui promulguent, outre le plaisir sans trêve signalé, ce que j'ai appelé l'auto-engendrement (Burdet, 2018). Autre visage de l'idéal comme décrochage défensif de l'autre. Chacun y devient l'artisan de sa sphère de sens, « un sens qui devient une propriété individuelle » comme le dit Jean Cournut (2004 p. 108, 111) qui parle de la transcendance de soi comme stade suprême de narcissisme, fantaisie d'autocréation délicieuse de soi-même qui s'exhibe (et qui aussi peut se fragmenter) sur différents espaces du net, que ce soit le temps de quelques secondes, avide de likes. Ovation du moi qui se gonfle majestueusement, qui tend à devenir tout puissant ; moi paradoxalement fragile puisque dépendant des likes reçus de l'autre, souvent inconnu, ou réduit à cette fonction. Au lieu de mourir d'amour, aujourd'hui on peut mourir de likes. Nouvelle figure d'un moi idéal qui s´impose et met à mal le travail psychique (agir au profit du penser, rejet de la différence générationnelle en tout cas et de l'histoire du sujet, etc.).

À noter que ce sont des images retouchées, construites, choisies au préalable par un moi, un inconscient, des affects et des idéaux qui sont choisies pour être montrées. C'est à dire que ce qui s'offre à la construction du moi digital en ligne diffère du « Je » et consiste en une représentation plus proche de l'imaginaire que du symbolique, pour utiliser une terminologie lacanienne. La tonalité narcissique du processus est donc à nuancer par rapport à la notion de narcissisme décrite par Freud (1914c) lorsqu'il reprend le mythe ovidien où Narcisse tombe amoureux de son image. En ligne chacun se regarde dans une image qui lui est renvoyée par les réseaux à partir d´une première image choisie à des fins sociales à son tour réfléchie par d'autres.

D'un point de vue clinique nous pouvons penser que les diverses déclinaisons narcissiques exposées sont en lien avec un risque de fragmentation du moi, certaines difficultés dans la création du sujet et peut-être des questions émergentes à l'heure actuelle comme le poly-amour ou les poly-appartenances de toutes sortes, les addictions.

« La transcendance de soi comme stade suprême du narcissisme » est ce qui nous attend souvent, écrit Jean Cournut dans un article au titre évocateur, « Les défoncés » (Cournut, 2017) se référant à ceux qui seront menacés de la maladie d'idéalité, cause de l´augmentation des dépressions.

Se « sur-passer » en permanence est difficile, éprouvant. Mais le sujet obtient ainsi le plaisir immense de se sentir créateur de lui-même, Dieu pour un instant (idéal de toute puissance décrit par Lagache (1960), en même temps qu'il s'échappe de la différence générationnelle. Un plaisir épuisant mais presque orgasmique de la recherche de l'affect pour lui-même (David, 1999), de la rencontre émue et émerveillée de soi-même par soi-même. Ce serait ici un autre visage de la démission de l'amour de l'autre en faveur de l'amour pour soi.

L'idée d´un monde infini se justifierait puisqu´elle va dans le sens du progrès, et ce dans un monde global déteint sur une absence de limites. Conceptuellement le dépassement de soi est toujours possible. Nouvel idéal social. Ce n'est même plus un idéal mais une injonction, une norme, il faut toujours plus, plus fort, plus loin, s'efforcer plus, faire plus de performances. Quel idéal du moi/surmoi vient alors jouer son rôle normatif si leur loi prône la démesure ?

Dès sa conceptualisation par Freud, le surmoi est un concept complexe et paradoxal, une instance de la limite entre le ça et le monde extérieur, entre le ça et l'Œdipe, entre la pulsion et l'inconscient, entre le désir et la jouissance. Le surmoi est fait de contradictions et d'incohérences puisqu´au fin fond de la création de la loi, selon la manière dont nous pensons le décrire, il baigne dans le pulsionnel du ça.

Qu'en est-il donc de cette loi actuelle soutenue par un impératif hédoniste (« Catégorique ? ») à jouir sans trêve, sans limite, c'est-à-dire « au-delà » du principe du plaisir, c´est-à-dire au lieu de la sauvagerie humaine non refoulée ? Se passe-t-il, comme sous le nazisme, lorsque le Surmoi normatif et protecteur, la loi se confondent avec l'anti-loi, véritable faillite des idéaux (Kahn, 2005) ? Pouvons-nous alors nous permettre de faire l'hypothèse d'une perversion du surmoi, lorsque celui-ci n´offre plus de visage protecteur mais semble mettre au premier plan les traits de ses origines dans le ça, sans limites ? Ne serions-nous pas face à l´un de ces paradoxes fréquents en psychanalyse : Le surmoi, sous son aspect mortifère ici, comme le théorise Silvia Bleichmar (2000), procède non seulement du pulsionnel mais aussi du narcissisme et « l'idéal du moi peut être tellement grandiose qu'il est écrasant, et la conscience morale peut-être si exigeante qu'elle finit par être annulante » (Bleichmar 2000 : 240). De sorte que nous pouvons penser que ce genre d'idéal semble raccourcir tellement ses frontières avec le moi idéal, du côté du grandiose ou du côté de la sévérité de ce mode de fonctionnement, que tous deux se retrouvent pratiquement superposés… (Puchol, 2018).

Quelque part le progrès va toujours de pair avec la barbarie et entre les deux, c'est la puissance de la destructivité humaine, c'est la force de la sauvagerie inéluctable qui fait irruption sur la scène de la pensée analytique. Destructivité et autodestructivité, car c´est bien sur les deux fronts, au-dedans et au dehors, que s´affirme l´aptitude indéfectible de l'humanité à anéantir. Au dehors, lorsque la guerre de 1914 frappe de plein fouet (…) ; au dedans lorsque les obstacles cliniques opposés par la réaction thérapeutique négative, le problème du masochisme ou celui de la mélancolie, prescrivent par la pensée de concevoir l´enracinement du principe destructeur dans la vie psychique. « C'est sous le signe de l'échec, échec thérapeutique, échec du développement culturel, que s'impose le deuil de l´enthousiasme et, avec celui-ci, la soumission à la vérité de l'inhumanité de l'homme» (Kahn, 2005: 8-9).

Il y a… « une obligation du dépassement et d´accélération permanente pour pouvoir exister, s'exprimer et survivre » (Aubert, 2017a: 8). Cette démesure, l'hybris des grecs qui réveillait la colère des Dieux, va de pair avec une accélération elle aussi sans limite. Tout est dans le trop d´où les pathologies qui s´ensuivent : toxicomanies, sports extrêmes, grandes dépressions, hyper puissance versus impuissance, un quotidien qui navigue entre l´euphorie et la dépression s'il n'y arrive pas. Nous aurions plus de bipolaires.

Notre « moi terminal » dans le sens de notre connexion avec un appareil revêtu d´affect, va aussi dans le même sens, véritable prolongation du moi-peau (Burdet, 2018). En 2018 je ne m'étais pas encore arrêtée sur ce que Vincent de Gaujelac (2017) appelle le soi terminal en se référant à tout appareil avec lequel nous interagissons ; de notre smartphone au distributeur automatique, de la montre électronique à l'ordinateur. Je tiens à mettre ici l'accent sur la situation qui veut, comme c'est le cas pour les smartphones, que nous personnalisions l´appareil, non seulement acheté pour son design, sa texture, et donc en fonction des plaisirs tactiles et visuels, mais sur le fait que l'appareil devient ce que l´auteur appelle une île monde, un mini univers régi par ses propres lois car programmé par son auteur en fonction de ses goûts : par exemple photo de l'écran.

Une de mes patientes me raconte comment elle s'y perd elle-même et y perd ses heures. Elle allume le téléphone et y voyage dans ses secrets intimes. Elle dépose ses enfants ailleurs pendant ces moments nécessaires où elle rejoint des profondeurs sexuelles excitantes et calmantes à travers son petit écran. Ceci lorsque le soulagement de l'hyper excitation appelle une décharge immédiate. Mais sinon, c´est son hobby, elle y passe des heures, d´Instagram à Twitter, à regarder, errer, toute seule. Bien sûr elle a son histoire avec au point de départ des parents super excités à leur manière et une invitation de leur part à la scène primitive qu´en fait elle retrouve sur le net qui panse, répète et surtout invite à ne pas penser. La jeune femme se plaint de son défaut de concentration, de son addiction à internet et aux applications. Elle navigue très tournée sur elle-même unissant tous les paradoxes : de l'excitation au calme, de la solitude et du refuge à l'addiction aux objets amoureux. L'objet terminal dans ce cas devient attachant, elle l'aime, son apparence, elle aime « y rentrer » et regarder. Au détriment de l'autre… Elle s'y montre et s´y cache. Je pourrais en faire un travail à part entière mais ne désire pas développer ici plus de détails cliniques.

Avec ces quelques touches nous voyons comment l'interaction terminale exalte le repli sur soi (De Gaujelac, 2017) et amortit la capacité d´imagination qui est depuis toujours au cœur de l'existence. On l'a acheté pour le plaisir psychique affectif. On l'a acheté pour le plaisir des sens, réalisation émotionnelle de soi-même. Il vient supplanter la consommation et le désir pour l´autre, véritable bonheur paradoxal (Lipovetsky, 2006) au détriment du principe de réalité puisque l'objet est programmé pour notre satisfaction immédiate (Roberts 2014 cité en Aubert 2018).

Nous retombons dans la satisfaction immédiate donc l´échec de la possibilité d'halluciner en absence l´objet manquant frustrant, l'échec du masochisme de vie gardien de la vie (Rosenberg, 1991). Nous stagnons dans ces cas-là dans le moi idéal sans avenir figé sans la tension d´un devenir ou d´une dialectique avec l'idéal au moi.

J'ai mis jusqu'à présent l´accent sur la démesure dans l'auto-construction qui vise à sortir de la dépendance d'un autre, tapie dans le moi idéal, mais ces mêmes caractéristiques, de plus et de fait baignent aussi dans la démesure inhérente tant à la définition du moi idéal comme à la révolution paradigmatique du temps de l'hypermodernité.

Le monde hypermoderne baigne dans l'hyper, la démesure qui suppose un total éclatement des limites. C'est l'impérialisme de l'instant, la dictature du temps réel et de son rythme trépidant uni à un vidage de sens qui se conjugue parfaitement avec la démesure. Paradoxalement, comme dans le beau roman Momo de M. Ende (1973), il s'agit d'économiser du temps pour que celui-ci devienne de plus en plus rare. L'infosphère produit dans une fraction de seconde, une quantité de stimuli que le psychisme est incapable de métaboliser, mettant en difficulté la capacité de liaison ; question conceptualisée comme traumatique par la théorie économique freudienne. Mais qu'importe au regard de ce ressenti jouissif de certains sujets qui vivent leur appartenance à un monde global grisant comme totalité, masse idéalisée de par son immensité, qui promet la jouissance sans trêve et le plaisir immédiat. Il s'agit d'une masse où l'adulte ne transmet pas « le travail psychique » « mais se préoccupe de mesurer sa propre adhésion aux thèses partagées» (Gaburri, 2007: 985). Il s'agit ici de la poussée qui nous porte à nous libérer du conflit grâce à la toute-puissance mais qui nous met aussi du même coup face au «danger de devenir la cause de notre extinction» (Searles, 1986: 364).

C'est bien de la question du principe du plaisir quand son articulation avec le principe de réalité fait défaut dont il s'agit. « En d'autres termes la fonction de l´excès vient signer le débordement de la jouissance sur le désir » (Assoun, 2017: 155). Nous rejoignons donc ici mon hypothèse de base : faire l´économie de l'autre, ici précisément à travers la panne du désir. La jouissance fait obstacle au désir. La domination de la jouissance sur le désir implique la désintrication. Les pathologies des limites : les anorexies, boulimies, les borderlines, etc. ont à voir avec l'art de jouer sur la ligne de front de la réalité.

C'est l'heure des limites défiées. Limites dans le flou, injonctions à jouir liées à la surexcitation et à l'amour de la dopamine dûe au sentir plus et plus et toujours plus… Florence Guignard (2007) a montré comment, suite aux changements technologiques et dans la communication, la phase de latence était en voie de disparition, impliquant des conséquences énormes pour les adolescents. Pour elle en effet, si phase de latence il n'y a plus, logiquement, l'adolescent n'a plus de trêve et l´excitation sexuelle infantile demeure telle quelle avec grand défaut de refoulement donc. La sexualité infantile, comme dans le cas évoqué de la jeune femme dont je parlais, reste une ligne continue d´excitation qui mélange les objets œdipiens avec tous les autres. Ligne continue au lieu de renoncement et du développement sexuel en deux temps prôné par Freud. D'où un désinvestissement de la vie psychique directement en rapport avec la pathologie du refoulement.

L'élaboration des deuils peut s´éviter en remplaçant l'objet perdu par quantité de propositions en ligne, ou par des torrents d'images qui supposent un moyen d´expression nouveau idéalisé lui aussi, signant la crise du récit (Lyotard, 1979) et contribuant, aussi, au gommage de l'autre et à une temporalité glissant du côté de la mélancolie. L'homo fotograficus est un autre idéal qui substitue le récit et arrive jusqu´au divan parfois.

Les profils (amoureux ou non) proposés en ligne limités à une photo, où accompagnés de quelques lignes, ont été traités par de puissants algorithmes qui ont choisi à notre place, de telle sorte que tout un chacun se trouve face au danger de se voir transformé en une donnée qui choisit une autre donnée. Le discours du capital et de la rentabilité des entreprises qui prétend annuler notre désir ou désirer à notre place coïnciderait, et pourrait nous mener vers l'objectivisation des affects sans que nous n'en ayons vraiment conscience. Mais il s'agit là aussi d´un nouvel idéal, celui de la passion pour le mesurable et les données qui reposent sur l'idéal mensonger selon lequel le quantifiable serait vérité ; confondant au passage mesurable et scientifique.

 

Pour conclure, assiste-t-on à une mutation anthropologique, à « un type de personnalité nouveau » (Gauchet, 2017: 406) qui impliquerait une mutation de l'invariant humain en rapport avec un vivre dans l'urgence, c'est-à-dire dans un temps sans mort dont la devise serait « j'existe car je suis connecté », branché à d'autres depuis mon moi-corps. Se dessinerait alors un autre idéal du moi qui irait de pair avec une dé-contextualisation : je suis de nulle part. Je suis ici mais pas où vous croyez que je suis ce qui fonde une toute puissance… L'individu, dit Marcel Gauchet est mis en position de force car il « échappe toujours à celui qui est en face, au groupe et au milieu où je suis… » L'outil de mon identité vient de ma non identité « je suis dans la mesure où je ne suis pas » (Gauchet, 2017 : 416). Connexion mais indirecte.

Dans son texte de 1908 « La morale sexuelle civilisée et la nervosité moderne », Freud (1908d) dit que l'appétit de jouisseur entraîne insatisfaction et désirance. Le malaise hypermoderne permet de repenser le malaise dans la culture en passant par l´Hilflosigkeit mais aussi en passant par le concept de déliaison, désintrication pulsionnelle qui bloque la culture.

L'hyper c'est le jouissif, la surenchère, c´est trop, c´est jouir de l´interdit. Il y a, comme le dit P.-L Assoun (2017: 156) un malaise borderline du sujet de l'hyper modernité. Borderlines, anorexies, boulimies, toxicomanies donnent une expression à l´imaginaire social. Depuis le social on demande aux sujets d´aimer leur trauma, d´être résilients. L'homme augmenté, le transhumanisme et le cyborg surenchérissent l'homme hypermoderne. Mais « La psychanalyse de facto est une résistance à cet idéal de jouissance généralisé, pour la simple raison qu´elle rappelle le primat du désir. La psychanalyse montre la prise du sujet dans ces dispositifs, elle montre comment la jouissance fait barrière au désir. » (Assoun, 2017: 158)

 

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Illustration : Katya Traboulsi.


 

 

 

 

 

 


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