Memory Box
Introduction à la discussion du film, par Ghassan Assaf
La projection du film et le débat se sont déroulés le 9 avril 2024 à l'auditorium du Musée Sursock, en présence des deux réalisateurs, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Cette activité a été organisée par Ray Aoun et le comité du PsynéClub de l'ALDeP.
J'ai l'honneur d'animer la discussion du film, de ce chef-d'œuvre ferais-je mieux de dire, en votre présence, Joana et Khalil. Je te remercie Ray et tout le comité du Psynéclub de l’ALDeP de m'avoir fait cet honneur et d’avoir organisé cet évènement. Je tiens aussi à remercier la direction du Musée Sursock de nous avoir généreusement accueilli ce soir.
Avant de vous donner la parole, j'aimerais partager quelques réflexions, ou plutôt quelques associations qui soulèvent autant de questions. Ce ne sont pas les seules, mais je suis conscient qu'il faut être concis. Cela dit, votre boîte de Pandore ouvre heureusement un espace illimité de parole.
Je noterais d'abord qu'Alex, comme sa mère jadis, a des interlocuteurs, ses amis, sans lesquels il lui aurait été impossible d'élaborer, de digérer ce matériel très lourd, surtout qu'elle nous semble faire le travail de mémoire à la place de sa mère et de sa grand-mère. Un peu comme il est demandé à cette génération de faire ce travail à la place des deux générations précédentes : celle qui a fait la guerre (plus ou moins activement ou passivement, celle qui a vécu la guerre) et celle qui en a subi les conséquences directes, économiques, sociales, politiques et surtout psychologiques, conséquences qui persistent encore.
Le public, celui qui a déjà vu le film et celui qui est présent dans la salle ce soir, serait pour vous le « réalisateur », l'interlocuteur sans lequel toute histoire et tout travail de mémoire serait impossible. Tout comme le psychanalyste qui, même par son silence, permet à l’analysant de canaliser ses fantasmes, angoisses, cauchemars et désirs ; sachant qu'ils seront reçus et qu'ils feront retour vers lui sous un aspect différent, plus proches de l'expérience réelle et plus fidèles à la vérité des faits psychiques.
Le retour des lettres envoyées à Liza en constitue une parfaite illustration.
L'histoire est celle de trois générations de femmes. Ceci nous amène à nous poser la question relative à la place des hommes, surtout après la guerre. Que sont devenus les pères ? Où sont-ils passés ? Seraient-ils en train d'effacer le sang de la honte, du crime fratricide ? Seraient-ils dans l'incapacité d'assumer leur rôle après avoir échoué à protéger leur famille, ou bien après avoir eu les mains souillées de sang ? Se sont-ils suicidés psychiquement ? La seule chance qu'ils auraient pour s'en sortir, c'est de faire face à leur échec, à leur « castration », et d’abandonner ce déni aveugle et aveuglant qui les condamne à être prisonniers du passé, cachés derrière leur propre toute-puissance ainsi que celle des seigneurs de la guerre.
En revanche, Maia est une jeune femme qui traversait avec aise et indifférence les lignes de démarcation, qui documentait l’horreur pour en témoigner plus tard, mais qui documentait aussi la vie qui insistait obstinément, d’une trêve à l’autre. Elle n'avait pas peur de mourir et refusait de voir les hommes s'entretuer ; que le Réel – au sens lacanien du terme –, lui imposât ses impératifs de guerre, de virginité, de fermeture, de haine et de ségrégation. Pourtant, du fait d’un secret familial teinté de honte – le suicide du père – et suite à la pression exercée par sa mère, « Téta », qui changea les faits (à l’image de notre histoire avec la guerre de 1975) et imposa à sa fille la loi du silence, véhicula un féminin qui a fini par succomber avant de ressusciter à travers Alex, qui d'ailleurs porte un prénom unisexe.
Ceci nous montre aussi que ce n'est qu'en déployant leur féminin, sans en avoir peur ni en être persécutés, que les hommes peuvent bâtir des ponts entre eux, à la place des lignes de démarcation géographiques, politiques, sociales, confessionnelles et psychiques, et d'espérer construire un pays où le fantôme de la guerre sera chassé et où la paix sera pérenne, une paix-reine.
Enfin Raja, l'Espoir. On ne sait pas où il est parti mais on sait qu'il est toujours là, quelque part. Lui, n'est pas mort, mais il se dérobe. Ce n'est qu'en faisant face à notre passé sanguinaire, qu'en regardant notre histoire de face que l'on pourrait espérer le retrouver. Il sera là, à nous attendre derrière le soleil.
Merci, infiniment !
G. A.